Monday 16 January 2012

PRÉSERVATION par MOTIVATION

Par Kevin Secours B.Ed., directeur de l'Académie de Systema Russe de Montréal 
Traduit par Alexandrina Delage

Avec à l’horizon le début d’une nouvelle année emplie d’audacieuses résolutions, j’ai cru bon de revoir, dans mes premiers blogues de 2012, une série de concepts qui sont à la base même du succès que nous avons ici à l’Académie de Systema Russe de Montréal.
Le sujet de cette première entrée est tiré de mes écrits antérieurs (i.e. The Dragon Mind Method et The Path of the Ronin) et est un des thèmes prédominants dans le curriculum du International Combat Systema Association.  Il va donc sans dire que ce concept est terrain connu pour ceux qui sont déjà très familiers avec notre matériel.  Néanmoins, étant donnée la nature fondamentale de ce concept, et suite à certains événements récents, je vous invite à le réviser avec un tout nouveau regard.

Ce premier concept est ce que j’appelle la Préservation par Motivation.  Ceci implique simplement que vos motivations sont plus importantes que vos méthodes d’entraînement, que les raisons pour lesquelles vous vous entraînez dépassent les pièges culturels, esthétiques, politiques ou stylistiques typiquement encourus dans les arts martiaux.  Ce concept vous invite à faire un inventaire de tout ce qui vous importe.  Cette liste devraient certainement inclure tous les gens qui vous sont chers tels famille et amis, idoles, héros, etc… mais devrait aussi incorporer vos préférences telles goûts culinaires, chansons, films, endroits, possessions, passe-temps… tout y passe.  Tout ce que vous appréciez profondément, et qui définit votre « vous-même » devrait apparaître sur cette liste.  Laissez les idées se bousculer et identifiez ce qui vous importe, sans jugement.  L’ordre de la liste n’a aucune importance – que vous listiez les mangues avant votre mère ne signifie pas que vous aimez les mangues plus que votre mère et, même si c’était le cas, cela n’a pas d’importance.  Ceci est votre liste à vous et personne n’a à l’approuver.  Soyez donc totalement honnête avec vous-même.
                                                                                                  
Après avoir catalogué le maximum d’idées aléatoires possible en quelques minutes, prenez du recul.  J’aime visualiser que je prends littéralement un pas par en arrière et regarde ainsi la liste. Parfois, j’imagine que la liste défile sur un écran IMAX géant qui s’étend d’un côté à l’autre du cinéma.  D’autres fois, j’imagine un immense parchemin qui se déroule devant moi jusqu’aux limites de ce que je peux voir.  En fait, plus la liste est grande, mieux c’est.  Prenez maintenant quelques instants pour prendre conscience que cette combinaison massive, et unique, de préférences, expériences et compréhensions vous est totalement unique.  Personne d’autre n’aura une liste exactement comme la vôtre.  Cette idée est colossale quand on y pense…  Ceci me rappelle à chaque fois l’ouverture de Richard Dawkins dans son classique Unweaving the Rainbow : « Nous allons mourir et cette réalité fait de nous les chanceux.  La majorité des gens ne mourront jamais parce qu’ils ne naîtront jamais.  Le potentiel de gens qui auraient pu être ici à ma place mais qui ne verront jamais le jour surpasse les grains de sable de Sahara.  Ces fantômes non nés incluent certainement des poètes plus exceptionnels que Keats, des scientifiques plus exceptionnels que Newton.  Nous savons ceci car le nombre de combinaisons possibles et permises par notre ADN dépassent considérablement le nombre de personnes actuellement existantes.  Devant cette réalité massivement stupéfiante, c’est vous et moi, dans notre banalité, qui sommes ici. »

Lorsque l’on s’investit sur le chemin du guerrier ou encore, en moins romantique, sur le chemin de la survie et de l’auto préservation, c’est précisément cette combinaison unique d’attributs, de goûts et d’expériences que nous cherchons à préserver et pour laquelle nous nous préparons à se défendre.  Si nous cessons d’exister, cette unicité cesse d’exister. Évidemment, nous sommes tous conscients, à un certain niveau, de cette réalité sinon, on ne s’entraînerait tout simplement pas de la sorte.  Toutefois, et comme beaucoup d’autres choses, lorsque l’on présume que notre motif est fort sans le renforcer, on risque facilement de faire fausse route au cours de notre entraînement.  À partir du moment où l’on accepte profondément que la raison ultime de notre entraînement est pour l’auto préservation (que ce soit via l’auto défense en soit, une santé et longévité améliorées ou une meilleure qualité de vie), on peut plus facilement voir la logique derrière le choix astucieux de nos batailles.  Ce qui nous amène à notre sujet : imaginez qu’un agresseur vous exige votre montre.  Cette montre pourrait bien être dispendieuse.  Mais imaginez maintenant que votre grand-père vous a offert cette montre, juste avant son décès.  Maintenant, la valeur perçue de cette montre vient de prendre une ampleur exponentielle.  En fait, la simple pensée de perdre cette montre occasionne de puissantes émotions.  « De quel droit cet inconnu se permet-il de me voler?  Comment peut-il oser m’attaquer ainsi?  Pour qui y’s’prend? ».  Le désire de résister, voire même d’assurer justice et représailles, est naturellement très présent dans la plupart d’entre nous.  Juste à y penser, cette intrusion, à la fois simple et sauvage, de notre sentiment de sécurité, est assez pour nous secouer au plus profond.

Maintenant, imaginez que dans votre refus à céder cette montre, ou encore dans votre tentative à vous défendre, vous êtes tué.  Que reste-t-il?  La montre existe toujours, l’agresseur existe toujours, l’injustice y est toujours, mais vous, vous n’existez plus. Avant son récent passage aux suites du cancer, Christopher Hitchens l’a si poétiquement énoncé : mourir n’est pas seulement l’équivalent de quelqu’un qui nous tape sur l’épaule pour nous dire de quitter la célébration, c’est aussi savoir que la célébration va continuer, sans nous.  Une fois que vous êtes parti, le sont également tous les sentiments qui vous attachaient si inlassablement à cette montre.  L’idée de perdre la montre, alors que vous étiez vivant et d’ainsi vivre qu’avec les mémoires de ce qu’elle représentait, était tout simplement trop lourde à porter.  Mais que penser, en comparaison, à l’idée que cette montre vous a quand même été volée mais, que maintenant, vous êtes mort et que ladite montre est maintenant un trophée dans la collection inappréciée d’un criminel.  Ou pire, que penseriez-vous à l’idée que cette montre soit devenu un simple morceau de métal et de verre, anonymement remis en prêt sur gages, avec aucune reconnaissance pour son importance.  Rendu là, vos sentiments si choyés face à cette montre seraient noyés, dans les méandres des égouts, avec votre dernier litre de sang.


C’est pourquoi je préconise l’auto défense comme étant pour notre protection personnelle, celle de ceux qui nous sont chers ou d’autres innocents et non pas pour la protection de possessions.  Ne vous battez pas pour des acquis matériels.  Dans cette même altercation théorique, considérez les multiples scénarios où, en se pliant à un certain point aux demandes de votre agresseur et en sacrifiant volontairement votre montre, vous augmentez considérablement vos chances de survie simplement en évitant de recourir à des actes de violence inutile. Tel que présenté dans d’autres écrits, la violence se calcule par un estimé intuitif immédiat quant au coût d’opportunité d’un engagement.  Chaque bataille encoure d’énormes risques.  Dans le règne animal, ce concept est profondément ancré et compris.  Ces derniers se battront pour défendre leur progéniture, possiblement même les membres de leur espèce, ou pour marquer leur territoire puisque cela est directement lié à leur source de subsistance.  Mais, même là, les animaux préfèreront des démonstrations de puissance presque ritualistes; ils iront généralement ensuite à une escalade réticente avant de se rendre à une altercation physique, car dans la nature, il est clair que la violence ne génère aucun vainqueur et que parfois ceux qui survivent meurent peu de temps après l’attaque compte tenu de la sévérité de leurs blessures.

Cette sagesse du règne animal est, semble-t-il, souvent délaissée par l’égo humain qui cherche sans cesse à projeter, sur des biens inanimés, une valeur injustifiée.

Je suis conscient que plusieurs d’entre-vous doivent se poser de sérieuses questions.  Est-il à nous dire que nous ne devrions pas défendre ce qui nous appartient?  C’est exactement ce que je dis - ne risquez pas votre vie pour des biens matériels.  Je ne suggère absolument pas toutefois que, en se pliant aux demandes d’un agresseur, on accepte sans question tout ce qu’il dit.  Toute désescalade de violence réussie exige un équilibre communicationnel complexe, incluant différents degrés de consentement.  Ce qui se perd toutefois dans cette complexité est la simple vérité que nous ne devrions jamais risquer notre vie pour des biens matériels.  J’amène votre attention sur le cas récent du Lieutenant Colonel Karl Trenker qui, lors d’une rencontre avec un acheteur « présumé » de Craigslist pour la vente d’un collier, s’est fait tirer à répétition.  Les deux cambrioleurs ont volé le collier et se sont enfuis. Trenker, un soldat, les pourchassa suite à quoi l’un des suspects s’est retourné et a tiré 10 balles en sa direction, le frappant à multiples reprises.  Trenker est chanceux d’être en vie.  Tous les médias ont mis l’emphase sur l’histoire incroyable que Trenker a passé à travers deux affectations militaires en Iraq et Afghanistan et que ce n’est que rendu à la maison qu’il se tape des balles.  L’ironie est aberrante.  De plus, la une de chacun des médias acclamait l’extraordinaire de ce soldat qui a bouché les trous de balles avec ses doigts, dont l’expérience est ce qui lui a permis de rester en vie et comment, en bout de ligne, les criminels ont été arrêtés par les autorités.  Pourtant, chaque incident est un revirement chanceux dans une situation qui aurait pu être évitée.  Il m’est impératif ici d’être clair : les habiletés et la détermination de Trenker sont admirables et font preuve de notre plus viscéral besoin d’assurer justice.  Je ne juge pas le comportement.  Je ne cherche même pas à nier que je serais le premier à agir de la sorte – en fait, c’est justement parce que je ressens cet exact désir à pourchasser les agresseurs que j’aborde le sujet.  Trenker avait 4 de ses enfants qui l’attendaient dans sa voiture.  Ainsi, lorsque l’on met cette situation en contexte, et que l’on porte attention à ce qui compte, seriez-vous prêts à mettre vos enfants en danger pour récupérer un collier et atteindre l’idéal de la justice?  Si votre sécurité ne vous préoccupe pas, qu’en est-il de celle de vos enfants?  Dans le cas de Trenker, il avait 4 enfants dans sa voiture et 3 autres qui l’attendaient à la maison.  De toute évidence, la valeur attribuée à sa famille ne peut faire autrement qu’excéder tous les retours que le rattrapage de ces voleurs et la récupération du collier auraient pu offrir.  Ceci démontre que lorsqu’en contexte de crise, nous revenons automatiquement à notre entraînement – Trenker était un soldat, habitué à la chasse et à attraper les « méchants »; son pilote automatique s’est immédiatement enclenché face à la situation.  C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est généralement reconnu que les soldats font de mauvais gardes du corps puisqu’ils s’investissent dans le combat, pas dans le client; ils courent vers le danger plutôt que de s’en enfuir avec leur client. 

En tant que civils, ou du moins, dans notre vie de civils, nous devons fuir tout danger afin de maximiser nos chances de survie, aussi difficile que ceci puisse être pour les vestiges de notre ego.  Mon but ultime est toujours de me rendre à ma famille sain et sauf par tous les moyens nécessaires.  Aucune somme, aucune possession, ne changera cela.  Et je dois continuellement renforcer cet état de fait car je me connais, je connais mes émotions, je sais ce que je préfèrerais faire, mais je connais aussi la réalité de la violence.  À chaque semaine, nous avons des étudiants qui se présentent à l’Académie après avoir survécu à des actes de violence, parce qu’ils se sont fait battre, poignarder, violer et ce, à Montréal, ville reconnue sécuritaire dans un pays tellement sain et sauf qu’on en fait la risée.  Et malgré cela, malgré cette ville si sécuritaire, nous sommes témoins à chaque semaine de ce lugubre courant de violence qui en sillonne les veines.

Lorsque l’on perd de vue ce simple compas de préservation, ce principe clé de survie urbaine, Aristote le décrit bien : cette petite erreur de parcours engendre une erreur massive de destination.  Et c’est ainsi, qu’en début d’une toute nouvelle année, je vous invite à revoir ce principe tactique fondamental et de le renforcer avec une nouvelle détermination.  Vous êtes tous et chacun trop important pour en permettre l’oubli.

Plus à venir dans mon prochain blogue.  D’ici-là, soyez sauf.

No comments:

Post a Comment